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Bernard Tapie, une figure nationale tire sa révérence

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En tant qu’homme d’affaires et acteur en herbe, Bernard Tapie a joué de nombreux rôles au cours d’une carrière en dents de scie qui a connu le succès et le scandale dans une mesure presque égale. Le flamboyant Français, décédé à l’âge de 78 ans des suites d’un cancer, était un entrepreneur avisé, une star de l’écran et de la scène, un homme politique, un ministre, le président de l’Olympique de Marseille, un présentateur de télévision, le propriétaire d’un club cycliste à succès et un baron de la presse.

 

Bernard Tapie n’a jamais fait les choses à moitié

Le champion français de l’anti-langue de bois, qui a fait trembler tous les plateaux télés où il a pu passer était un cador pour les uns et un charlatan pour les autres. Il a déployé des talents multiples et variés, mais pour certains, pas toujours dans le respect de la loi, même s’il a toujours nié tout méfait. Son omniprésence dans le monde des affaires des médias en ont fait une personnalité, adulée et haïe des Français. Bernard Tapie n’a jamais laissé personne indifférent. Les différents éloges funèbres qui ont suivi sa mort sont beaucoup revenus sur sa relation récurrente avec la justice française, mais toutes ont cité son entreprenariat de génie.

Dans son hommage à Tapie, le président français, Emmanuel Macron, a souligné ces contradictions en observant qu’il était “hâbleur, charismatique, séducteur” et que “la légende dorée se mêlait aux ombres de ses sagas judiciaires – procès perdus, lourdes condamnations – décisions qu’il a contestées toute sa vie”. Pourtant, a ajouté M. Macron, “l’ambition, l’énergie et l’enthousiasme de Tapie ont été une source d’inspiration pour des générations de Français”.

 

Les origines modestes de Bernard Tapie

Tapie est né et a grandi dans une banlieue ouvrière de Paris, l’aîné des deux fils de Jean-Baptiste Tapie, un ingénieur frigoriste, et de sa femme, Raymonde (née Nodot), une infirmière. La famille de quatre personnes vit dans un minuscule appartement sans salle de bains, avec des toilettes au fond de la cour, mais le jeune Bernard est satisfait. “Je ne connais pas d’enfants qui aient été plus heureux que moi”, dit-il.

Une fois qu’il a quitté l’école, Tapie commence à vendre des téléviseurs le jour et à chanter dans les clubs de Paris la nuit. À un moment donné, il rêve de devenir un chanteur pop (il sort un single qui fait un flop), puis un pilote de Formule 3. Mais il abandonne ces premiers enthousiasmes pour se consacrer aux affaires.

Tapie s’était sorti d’un milieu pauvre pour faire fortune en rachetant et en redressant des entreprises en faillite, et affichait sa richesse avec ce que certains considéraient comme un flair à la Trump. Mais il donnait aussi de grosses sommes à des œuvres caritatives – souvent discrètement – et imaginait des projets pour aider les jeunes chômeurs.

Les affiliations politiques de Bernard Tapie

Ses affiliations politiques étaient tout aussi ambiguës : élu pour la première fois député indépendant en 1989, il a été deux fois ministre de la ville dans le cabinet socialiste du président François Mitterrand au début des années 1990, et a été élu une deuxième fois en 1993 en tant que membre du Mouvement des radicaux de gauche, dont il était le chef. Il devient député européen en 1994 pour le même parti, mais est obligé d’abandonner la politique en raison de ses problèmes judiciaires, et apporte ensuite son soutien au président de centre-droit Nicolas Sarkozy.

Chaque fois qu’il a été mis à terre, Tapie s’est relevé. Sa motivation, comme sa devise personnelle, était “gagner”. Il encaissait les coups et supportait les critiques, si bien que, pendant quatre décennies, son nom n’a jamais été loin de faire la une des journaux.

 

Bernard Tapie et ‘l’affaire Adidas’

Sa mort est survenue quelques jours avant qu’un tribunal français ne se prononce sur une bataille juridique complexe qui a empoisonné les dernières décennies de la vie de Tapie. La “controverse Adidas”, qu’il qualifiera de plus grande des “erreurs stupides” de sa carrière, s’est prolongée pendant près de 30 ans après que Tapie ait vendu sa participation majoritaire dans la société sportive Adidas, alors en difficulté, à un groupe d’investisseurs privés pour éviter tout conflit d’intérêts, alors qu’il était ministre du gouvernement en 1993.

Un an plus tard, Adidas a été revendu pour plus du double du prix. Tapie a intenté un procès à la banque Crédit Lyonnais, en partie publique, en affirmant qu’elle avait délibérément sous-évalué l’entreprise. En 2008, un panel d’arbitrage a accordé à Tapie 403 millions d’euros de dommages et intérêts, à payer sur des fonds publics, ce qui a provoqué un tollé national.

En 2015, une cour d’appel a annulé la sentence et ordonné à Tapie de rembourser l’argent avec des intérêts. Mais l’homme d’affaires, célèbre pour son teint halé et ses cheveux à la coupe reconnaissable entre mille, a déclaré que l’argent avait disparu, déclarant : “Je suis ruiné. Ruiné”. Depuis lors, l’affaire n’a cessé de rebondir au gré des jugements et des appels.

 

Les succès et les déboires de Bernard Tapie

À l’âge de 30 ans, il a fait fortune en redressant des entreprises en faillite. Plus tard, son équipe cycliste, La Vie Claire, qu’il a créée avec le champion cycliste Bernard Hinault, a remporté deux fois le Tour de France – en 1985 et 1986 – et il a été propriétaire de l’Olympique de Marseille entre 1986 et 1994, tout en détenant une participation importante dans le quotidien marseillais La Provence.

À Marseille, il sera toujours un héros local. Le club de football de l’Olympique de Marseille était endetté et se morfondait à la 17e place du championnat de France lorsqu’il l’a repris en 1986. Six ans plus tard, grâce à des joueurs vedettes acquis à grands frais, l’équipe remporte la Ligue des champions – un exploit qu’aucun autre club français n’a réussi à ce jour.

En 1995, cependant, il a été révélé que Tapie avait offert un pot-de-vin à une équipe française rivale, Valenciennes, pour qu’elle fasse une contre-performance contre Marseille lors d’un match de championnat pendant la période précédant la finale de la Ligue des champions de 1993, afin que ses joueurs puissent rester frais pour le grand match. Tapie a été condamné à huit mois de prison après avoir été reconnu coupable de corruption, et Marseille a été déchu de son titre de champion de France, mais pas de sa Ligue des champions.

À sa sortie de prison, interdit de football et de politique, Tapie se lance dans la comédie, jouant plusieurs rôles, dont celui de Benoît Blanc dans le film Hommes, Femmes, Mode d’emploi (1996) de Claude Lelouch et celui d’un inspecteur de police dans une douzaine d’épisodes de 90 minutes de la série télévisée populaire Commissaire Valence (2003-08). En 1998, il collabore avec le rappeur français Doc Gynéco sur la chanson C’est Beau la Vie, et deux ans plus tard, il fait ses débuts au théâtre, recevant des critiques élogieuses pour son interprétation du rôle de Randle McMurphy de Jack Nicholson dans Vol au-dessus d’un nid de coucou.

En plus d’avoir été condamné pour avoir truqué des matchs, Tapie a été condamné à deux reprises pour fraude fiscale, d’abord en 1997, où il a été condamné à 18 mois de prison, dont 12 mois avec sursis, puis en 2005, où il a été condamné à trois ans de prison, dont 28 mois avec sursis. Dans cette dernière affaire, il était accusé d’avoir imputé des dépenses personnelles, notamment du personnel à son domicile parisien et un yacht, au compte de sa société. Il n’est toutefois pas retourné en prison, le tribunal ayant décidé que ses peines pouvaient être imputées sur les huit mois qu’il avait déjà passés en prison.

 

Bernard Tapie face au cancer

Malgré ses transgressions, en 2017, l’année où son cancer de l’estomac a été diagnostiqué, Tapie a déclaré au Monde qu’il était largement satisfait de sa vie. “Quand on a gagné le Tour de France, la Ligue des champions, qu’on a été ministre, chanteur, acteur… qu’est-ce que je n’ai pas fait ?”, a-t-il déclaré. “Je ne peux pas dire que je n’ai pas été gâté pourri par la vie”.

Hinault, qui est devenu proche de Tapie, a dit de son ami : “Il voulait toucher à tout. Il a peut-être fait une erreur en se lançant dans la politique, mais c’était son choix. Il y a ceux qui gagnent et ceux qui perdent. Il faisait partie de la première catégorie”.

Bien que malade depuis plusieurs années, ses dernières apparitions ont toujours montré un visage combatif avec un sourire en coin et une gouaille qui ne l’a jamais quitté. Pour beaucoup de Français, Bernard Tapie restera à jamais une figure emblématique du patrimoine français.

Bernard Roger Tapie, homme d’affaires, homme politique, acteur et chanteur, né le 26 janvier 1943 et décédé le 3 octobre 2021.