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Pourquoi parle-t-on de Santé « Intégrative » pour mieux appréhender la Santé ?

Pourquoi parle-t-on de Santé « Intégrative » pour mieux appréhender la Santé ?
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QUESTION : Lorsqu’on pense Santé, on imagine souvent la Médecine, ou encore l’Hôpital. La Santé Intégrative, qui correspond à la chaire que vous dirigez au conservatoire national des arts et métiers, n’est pas si explicite pour tous. Pourquoi parlez vous d’intégratif ?

ALAIN TOLEDANO : A force de restreindre notre vision de la Santé, nous passons à côté de nombreux progrès nécessaires et indispensables à son développement. C’est pour cela que j’ai souhaité porter au grand jour la Santé Intégrative. La logique déterminante à l’efficience en Santé est intégrative ; elle manque parfois cruellement, y compris à ceux qui administrent notre système ou même qui soignent. Nous parlons de dynamique Intégrative en tant que processus mental. Intégrer c’est incorporer une chose dans un ensemble, en tant que partie intégrante de cet ensemble. Philosophiquement, « intégrer » signifie connecter les sensations et/ou les concepts, entre eux, pour en faire un tout unique. C’est en quelque sorte une synthèse. Naturellement, connexion implique aussi ici cohérence. L’intégration est la partie essentielle de la compréhension, une deuxième nature à acquérir pour tous les acteurs de soin. L’intégration est le procédé inverse de la « différenciation », qui consiste au contraire à séparer et isoler les éléments. Les deux mouvances, différenciante et intégrative, sont les deux états actifs de la (con) science sanitaire. Mais l’intégration est beaucoup plus difficile que la différenciation. Presque tout le monde est capable de différencier, plus rares sont ceux qui parviennent à intégrer leurs idées. Même les animaux différencient, mais ils n’intègrent pas. En fait, l’intégration est le principal processus de la connaissance humaine.

QUESTION : Alors pourquoi associer « Santé et Intégrative » ?

ALAIN TOLEDANO : La conception d’une Santé intégrative, articule toutes les dimensions de la Santé, pas uniquement considérée en tant qu’absence de maladie, mais également dans ses composantes physique, mentale, sociale, sexuelle, émotionnelle, environnementale, par une méthode consciente et définie. Cette méthodologie est contraire aux traits distinctifs classiques de l’approche en Santé, permettant de relier simplement ce qui, pour la plupart, sont de complexes éléments isolés. Elle crée toujours des relations, là où beaucoup ne les soupçonnent guère. Par ailleurs, la conception d’une Santé intégrant de multiples acteurs, pas seulement des médecins, mais également tous les acteurs paramédicaux, les administratifs, les industriels, l’état, la société civile, les assureurs mutualistes, mais également et surtout les patients, est aussi le socle de la Santé Intégrative.  Du sommet de notre système de soins, voir les liens entre les différentes sphères de la Santé est autant un privilège qu’un devoir. De même, révéler les contradictions des idées n’étant pas mises en relation, est le meilleur chemin vers la « décompartimentalisation » de la Santé, celle-là même qui fait que le morceau de vérité de chaque expert n’est pas relié au reste des connaissances, ou n’intègre pas les savoirs et les mentalités des autres. Le processus intégratif connecte les dimensions de la Santé entre elles, ainsi que tous les acteurs gravitant autour. Leurs valeurs et leurs vertus, que ce soit la rationalité, l’intégrité, l’honnêteté, la justice, la productivité, la fierté, le prendre soin, sont toutes interdépendantes. Le système sanitaire est un système intégré, une philosophie où les concepts, les idées et les principes sont tous interconnectés, faisant de ce système une unité, c’est-à-dire un système entier, articulé et inséparable. Inséparable ne signifie pas que l’on ne peut pas le décomposer mais que toutes les idées sont interdépendantes. La Santé n’est pas une collection de définitions, une juxtaposition ou une mosaïque d’idées isolées et autosuffisantes. 

QUESTION : La Santé d’aujourd’hui est-elle compartimentée ?

ALAIN TOLEDANO : Enchainé à nos pratiques et nos conceptions segmentées, nous échouons fréquemment à (re)créer les équilibres de vie des 20 millions de français atteints de maladies chroniques (MC). Avouez que traiter par des médicaments les symptômes de MC, dont se plaignent les patients dans la moitié des 400 millions de consultations médicales annuelles, n’est pas suffisamment efficace pour améliorer leur santé ! La vérité médicale diffère de la vérité humaine, autant que les vérités médicales d’hier et celles d’aujourd’hui divergent, ou bien encore les interprétations qu’en font les différents médecins, face à la singularité des patients. Il nous est donc impératif de généraliser et d’induire que la connaissance soit intégrative, que la somme des connaissances s’intègre sans contradiction dans l’immensité des savoirs. Une contradiction signifie que deux idées, ou plus, ne s’intègrent pas l’une avec l’autre, et par conséquent, qu’il y a une erreur quelque part : si l’on n’intègre pas ses idées, on ne peut pas identifier ses erreurs.

QUESTION : En quoi, et comment, la Santé Intégrative favorise le travailler ensemble ?

ALAIN TOLEDANO : Auguste Comte, dans Cours de philosophie positive (1830, 1ère leçon) écrivait : « En effet, les divisions que nous établissons entre nos sciences, sans être arbitraires, comme quelques-uns le croient, sont essentiellement artificielles. En réalité, le sujet de toutes nos recherches est un ; nous ne le partageons que dans la vue de séparer les difficultés pour les mieux résoudre. Il en résulte plus d’une fois que, contrairement à nos répartitions classiques, des questions importantes exigeraient une certaine combinaison de plusieurs points de vue spéciaux, qui ne peut guère avoir lieu dans la constitution actuelle du monde savant ; ce qui expose à laisser ces problèmes sans solution beaucoup plus longtemps qu’il ne serait nécessaire. »

La notion d’intégration est vue comme une condition nécessaire et suffisante pour caractériser l’interdisciplinarité. Or, ce concept est imprécis sur ce qui est intégré (quoi ?) et par quel processus (comment ?). L’imprécision des modalités de l’intégration est le « talon d’Achille de l’interdisciplinarité ». L’interdisciplinarité est un processus qui consiste à répondre à une question, à résoudre un problème ou à aborder un sujet trop vaste ou trop complexe pour être traité adéquatement par une seule discipline, et qui s’inspire des disciplines dans le but d’intégrer leurs apports pour construire une compréhension plus exhaustive. La multidisciplinarité est définie quand à elle, en reprenant la formulation initiale de l’OCDE, comme la juxtaposition de diverses disciplines favorisant l’élargissement de la portée des connaissances, de l’information et des méthodes. Pourtant, les disciplines restent séparées, conservent leur identité originale et ne sont pas remises en question. Pour moi, l’idéal en Santé reste la transdisciplinarité, qui est définie comme un système commun d’axiomes qui transcende la portée des visions du monde disciplinaires. La transdisciplinarité a l’ambitieux objectif de rassembler les savoirs au-delà des disciplines. Dans la transdisciplinarité, il y aurait construction de contenus et de méthodes, alors que dans l’interdisciplinarité, les contenus et méthodes proviendraient des disciplines elles-mêmes.

La transdisciplinarité représente la synergie de nos actions respectives.

QUESTION : Comment réussir l’Intégration en Santé ?

ALAIN TOLEDANO : Divers traits sont sous-jacents à l’intégration. Ainsi, cela implique que la motivation par objectif consiste en la résolution d’un problème, la réponse à une question ou la résolution d’un enjeu. L’évaluation critique est un élément central des activités intégratives. Ce qui est évalué de façon critique est l’apport disciplinaire. La nature du processus intégrateur est la combinaison ou l’unification créative. Ce qui est combiné, unifié ou recomposé est les concepts disciplinaires, les postulats, ou les théories utilisées pour produire ces apports. La résultante de l’intégration est valide seulement pour un problème et un contexte particulier. L’objet de ce processus est la formation créative de quelque chose de nouveau, de plus grand que, et de différent de la somme des parties ; une compréhension plus exhaustive. (Repko 2016)

QUESTION : Santé Intégrative, Médecine Intégrative, ça donne quoi en pratique ?

Traiter les problématiques en Santé dépasse les problématiques uniquement de la Médecine, lorsqu’on la cantonne à s’occuper de la maladie. Les patients ont des besoins psychologiques, physiques, sociaux et spirituels, et ils évoluent dans un environnement. La Santé partage avec la Médecine de nombreux aspects en étant plus large qu’elle. Intégrer aux soins techniques et médicamenteux un « parcours santé », associant toutes ces dimensions, est non seulement possible, mais me semble hautement plus pertinent. La Médecine Intégrative, autant que l’Oncologie Intégrative ou la Santé Intégrative sont les mouvements d’avenir qu’il va maintenant falloir considérer pour plus d’efficience et de justesse. Un des modèles en Santé Intégrative à l’Institut Rafael nous a permis de prendre en charge 2700 nouveaux patients en 3 ans, en démontrant les bienfaits d’une approche globale. Chaque patient s’y voit proposer un parcours d’accompagnement orienté vers la nutrition, les émotions, l’activité physique, le bien être, le retour à l’emploi.

« Cette union solide de la science et la philosophie est utile aux deux, elle élève l’une et contient l’autre. Mais si le lien qui unit la philosophie à la science vient se briser, la philosophie privée de l’appui ou du contrepoids de la science, monte à perte de vue et s’égare dans les nuages, tandis que la science, restée sans direction et sans aspiration élevée, tombe, s’arrête ou vogue à l’aventure ». Claude Bernard, Introduction à l’étude de la médecine expérimentale (1966)